"La formule actuelle du franc CFA infantilise l’Afrique, et en particulier ses chefs d’Etats", Richard Moulomba Mombo

Richard Moulomba, homme politique gabonais, président de l’Alliance pour la Renaissance nationale (ARENA) et statisticien nous a accordé un entretien sur le Franc CFA tant décrié par les africains et aujourd’hui par des leaders populistes européens. Au Gabon, nombreux sont ceux qui pensent que cette monnaie est une duperie et retarde le développement de l’Afrique en général et le Gabon en particulier.

Lecture…

Gabon-Infos.ga : Bonjour monsieur le Président. L’Italie et l’Allemagne accusent la France d’être à l’ origine de la pauvreté en Afrique, en imprimant le FCFA pour 14 pays africains. Pensez-vous que le franc CFA reste un vestige et un symbole du colonialisme français en Afrique de l’Ouest et du Centre ?

Richard Moulomba Mombo : Merci de me donner l’occasion d’en parler.

Le problème qui se pose sur le franc CFA, n’est pas tant le lieu de son impression (Chamalières et Pessac, en France), qui est véritablement un problème mineur. Mais, il se situe plutôt dans les fondations, le but et les motivations ayant soutenu la création du franc CFA, d’une part ; et dans le statut juridique de cette monnaie, d’autre part.

Au delà des dénominations qui ont largement évolué entre 1945 et 1960, les objectifs sont restés les mêmes et immuables depuis 1939 (date de la création de la zone franc), jusqu’à ce jour, en passant par 1945 (date d’instauration du franc CFA-Franc des Colonies Françaises d’Afrique) et 1960 (date d’instauration de 2 francs CFA : l’un pour l’Afrique de l’Ouest et l’autre pour l’Afrique Centrale) : renforcer le contrôle de la métropole sur la monnaie de ses colonies, d’une part ; et s’assurer que les ressources des colonies restent à la disposition de la métropole, même en temps de guerre, d’autre part. Le franc CFA est donc à la création, un outil de réaffirmation de l’autorité de la métropole sur des zones qui ont échappé à son contrôle lors de la 2èmeguerre mondiale. A ce titre, la France contingente tout : elle imprime cette monnaie ; elle peut en augmenter ou diminuer la quantité produite ; elle peut arrêter la production quand elle le veut ; elle peut même décider d’autorité de dévaluer (comme en 1994) ; etc.

Au plan juridique, chacun peut vérifier qu’aucun texte des pays africains concernés par le franc CFA (constitution, loi ou décret) ne parle du franc CFA, au sens de le reconnaitre comme propriété. C’est plutôt un décret français datant du 26 décembre 1945 qui le reconnait comme propriété française. Et c’est la France qui en détient le brevet de création. Donc le franc CFA est une propriété française, mise en location par le bailleur français, aux 14 pays africains utilisateurs, qui n’en sont que de simples locataires.

D’ailleurs, faut-il ajouter trois choses. Premièrement, que la formule actuelle du franc CFA infantilise l’Afrique, et en particulier ses chefs d’Etats, qui exercent une politique de révérence vis-à-vis de la France dont les populations africaines en deviennent quasiment des mendiants, parce que c’est elle qui détient le porte monnaie. Deuxièmement, que l’une des règles régissant le franc CFA, veut que les banques commerciales nationales sont obligées de limiter les prêts aux entreprises, soit 23% du PIB maximum. Alors que ce taux atteint plus de 300% dans des pays anglo-saxon comme le Nigéria ou le Ghana. La conséquence dramatique est que : moins de crédits impliquent moins d’investissements ; moins d’investissements impliquent moins d’infrastructures ; et moins d’infrastructures impliquent moins de développement. De plus, le franc CFA est une monnaie forte, qui de ce seul fait est plutôt une monnaie d’importation. C’est-à-dire que pour une entreprise ou un investisseur, il est plus rentable d’importer que de produire sur place. Les coûts de production sont trop élevés. Ce qui n’encourage donc pas la création des unités de production locales, avec tous les corollaires induits. Troisièmement, que la seule présence de la France, dans les conseils d’administration de la BEAC et la BCEAO, avec droit de veto, est largement suffisant pour comprendre qu’elle en est le véritable maitre à jouer, le vrai propriétaire et qu’elle tient donc à contrôler les choses de près pour que rien ne lui échappe.

Comment alors comprendre, malgré ces objectifs et ce statut de caporalisation et donc peu acceptables aujourd’hui plus qu’hier, qu’il ya des africains, et même des dirigeants, qui pensent qu’il vaut mieux continuer d’être locataires plutôt que propriétaires ? Quel pays africain de notre zone CFA siège-t-il au conseil d’administration de la banque de France ?

En définitive, dans sa nature, son identité, son statut et son fonctionnement, le franc CFA est non pas un héritage de la colonisation, comme le français, ce qui aurait pu être acceptable ; mais il est un véritable symbole de la marque du colon français dans ses colonies d’Afrique. Ce qui, aujourd’hui, est non seulement sources de tant de dégâts économiques, de malheurs, y compris humains, mais surtout est inacceptable. Le franc CFA ampute nos pays qui l’utilisent de la marque de notre souveraineté

Gabon-Infos.ga : Le franc cfa est-il un outil politique de la France ?

Richard Moulomba Mombo : Bien sûr ! Le franc CFA est bien un outil politique de la France. Regardez ce qui fut fait en 2010 à Gbagbo par la France. Il lui avait suffit d’assécher les caisses de l’Etat ivoirien pour avoir sa peau. Le franc CFA est donc là un instrument de chantage, de domination et de duperie politique, au lieu d’être un instrument de solidarité et de développement.

Gabon-Infos.ga : A qui profite le franc CFA, sachant que les comptes d’opérations ouverts par la BCEAO et la BEAC auprès du trésor public français pour y déposer 50% de leurs réserves de change, en contrepartie de la convertibilité de la monnaie, font polémique ?

Richard Moulomba Mombo : Il faut savoir que la France gère effectivement 50% de nos devises sur les exportations, dans des comptes d’opérations. Ce taux était de 100% depuis les indépendances jusqu’en 1973 ; puis il est passé à 65% jusqu’en 2005. Cela signifie que lorsque nous exportons l’or, le diamant, le bois, le coton, etc., 50% des recettes générées rentrent au Trésor public français qui les utilise à souhait. Il peut les placer à son profit dans les organismes financiers divers, sans avoir des comptes à nous rendre. Mieux, la France nous oblige à déposer notre or au Trésor public français, comme garantie du franc CFA. Ce qui va renforcer ses réserves d’or ; faisant d’elle la 5ème puissance mondiale en la matière, devant la Russie. Il faut savoir à cet effet, pour le déplorer, que la BEAC, la BCEAO et la BCC (la Banque Centrale des Comores), sont les seules banques centrales au monde qui n’ont pas le droit de garder leur or. Toutes les trois ont la particularité d’utiliser les deux seules monnaies coloniales au monde, propriétés de la France : le franc CFA et le franc Comorien. Donc, finalement, le plus grand bénéficiaire du franc CFA, c’est bien la France. Et elle seule ! En revanche, c’est un vrai malheur pour les 14 pays d’Afrique noire !

Gabon-Infos.ga : Monsieur le Président, merci.

Richard MOULOMBA MOMBO : C’est moi !

Franck Charly Mandoukou

Rédacteur en Chef, Journaliste libre et indépendant. Gabon infos,Toute l'information du Gabon. Les dernières actus, la politique, l'économie, la société, la culture, la justice, les faits divers...